De l’importance de bâtir un document d’urbanisme “cohérent”

CE, 2 octobre 2017, n° 398322

En amont de la décision d’élaborer ou de révision un Plan local d’urbanisme, ses auteurs doivent réfléchir aux objectifs qu’ils souhaitent fixer à ce futur document.

Cela suppose une analyse précise du territoire, via un diagnostic établi au regard des prévisions et des besoins répertoriés. Cela suppose ensuite, bien sûr, une volonté politique pour ledit territoire. Cela suppose enfin la rédaction d’un PLU dont les différentes pièces se complètent, par l’élaboration de règles et d’orientations harmonieuses et cohérentes.

En ce sens, notamment, les dispositions de l’ancien article L. 123-1-5 (reprises, en partie et pour ce qui nous intéresse dans cette affaire, à l’article L. 151-8 de ce Code) précisent que “le règlement fixe, en cohérence avec le projet d’aménagement et de développement durables, les règles générales et servitudes d’utilisation des sols (…)”.

En d’autres termes, il n’est pas question ici d’un rapport de compatibilité entre les différents éléments du document d’urbanisme, mais bien d’une exigence absolue de cohérence.

Si cet impératif semble constituer une lapalissade, il n’apparaît pas inutile de le rappeler aux auteurs de ces documents.

C’est ainsi que le Conseil d’Etat a été contraint, dans une décision récente, de relever que, contrairement à ce que soutenaient les auteurs du document d’urbanisme en cause, “ces dispositions ne se bornent pas à prévoir un simple rapport de compatibilité entre le règlement et le projet d’aménagement et de développement durable du plan local d’urbanisme“.

Dans cette affaire, un secteur entier avait été classé en zone agricole par le règlement alors même que l’une des orientations du PLU prévoyait dans ce secteur une zone d’extension économique nécessitant une urbanisation.

Sur le fondement des dispositions susmentionnées, le Conseil d’Etat a censuré cette incohérence entre le règlement et cette orientation, rappelant ainsi qu’il appartient au juge administratif saisi de la question de contrôler la cohérence entre les différentes pièces du document d’urbanisme.

Comme quoi, il n’est jamais inutile de rappeler une évidence !

L’emplacement réservé peut être créé pour permettre au terrain de conserver sa destination

CE 19 juillet 2017, n° 397944

L’outil que constitue l’emplacement réservé est extrêmement utile pour une Collectivité territoriale. Il permet de grever un terrain en vue de la réalisation de “voies et ouvrages publics, installations d’intérêt général, espaces verts” ou encore de continuités écologiques (Nouvel article L. 151-41, Ancien article L. 123-1-5, V, du Code de l’urbanisme).

Grâce à cette réserve inscrite dans le document d’urbanisme applicable, les terrains ne peuvent pas faire l’objet d’une utilisation ou occupation incompatible avec la destination projetée et sera sanctionnée , sur un tel emplacement, la réalisation d’une opération différente de celle déterminée et qui pourrait empêcher la réalisation de la destination prévue par l’emplacement réservé (CE, 26 avril 1993, n° 96277; CE, 4 février 1981, n°15372, CE, 14 octobre 1991, n° 92532).

En d’autres termes, cet outil constitue une épée de Damocles pour son propriétaire qui ne pourra pas l’utiliser comme il l’entend.

Il ne saurait donc être institué pour n’importe quel projet de la Collectivité et est limité, comme il a été relevé, à de grands projets dont l’utilité est assurée : équipement scolaire   (CE, 14 octobre 1991, n° 92532), construction de ligne de transport public (CE, 26 mai 1999, n° 137965), poste de redressement électrice de la RATP (CAA Versailles, 23 octobre 2014, n° 13VE01115), voie publique (CAA Bordeaux, 12 février 2007, n° 04BX00214).

En tout état de cause, en règle générale, les projets évoqués sont des projets futurs, que la Collectivité n’est pas en mesure de réaliser immédiatement ou qui ne sont pas suffisamment ficelés pour qu’une procédure d’expropriation puisse être mise en œuvre.

Néanmoins, sur ce point, le Conseil d’Etat est venu apporter une nouvelle précision qui, si elle peut paraître surprenante, n’en est pas moins très importante: la haute juridiction accepte que l’emplacement réservé soit créé afin de permettre au terrain de conserver sa vocation.

Précisément, dans cette affaire, le propriétaire avait remis en cause le classement de sa parcelle en emplacement réservé dès lors que la destination de cet emplacement était similaire à la destination actuelle de la parcelle (en l’occurence : une voie d’accès à une école ainsi que des places de stationnement existants). Ce moyen avait été retenu par la Cour administrative d’appel qui avait censuré le classement.

Pourtant, cette position a été sanctionné par le Conseil d’Etat, lequel a relevé que ” s’il est généralement recouru à ce dispositif pour fixer la destination future des terrains en cause, aucune disposition ne fait obstacle à ce qu’il soit utilisé pour fixer une destination qui correspond déjà à l’usage actuel du terrain concerné, le propriétaire restant libre de l’utilisation de son terrain sous réserve qu’elle n’ait pas pour effet de rendre ce dernier incompatible avec la destination prévue par la réservation” (CE, 19 juillet 2017, n° 397944).

Cette position nous semble pour le moins choquante car elle cristallise la destination d’une parcelle appartenant à un propriétaire privé pour un ouvrage qui semble d’utilité publique. La question pourrait alors se poser, selon nous, des frais en cascade pris en charge par le propriétaire privé pour l’entretien d’un ouvrage qui semble d’intérêt général puisque grevé d’un emplacement réservé.

Si cette position apparaît pragmatique, elle ne nous semble pas satisfaisante et ne manquera pas de soulever des questions. Surtout, il nous semble que ce n’était pas là l’utilité de cet outil dont il ne faut pas oublier qu’il constitue une altération de la propriété privée.

 

Point d’actualité sur la réforme de la Politique immobilière de l’Etat

Depuis 2005, la politique immobilière de l’Etat a fait l’objet de plusieurs évolutions, vouées à permettre une plus grande rationalisation et une meilleure gestion des biens de l’Etat.

Le 21 septembre 2016, paraissait au JO un Décret et un arrêté portant création de la Direction immobilière de l’Etat (DIE). Celle-ci devait se substituer au service France Domaine, marquant ainsi une nouvelle étape dans la modernisation de la gestion du parc immobilier de l’Etat.

Chargée de la gouvernance de la politique immobilière de l’Etat et des évaluations domaniales, la DIE se trouvait face à de nouvelles missions (Voir le Décret n° 2016-1234 du 19 septembre 2016 ; Voir l’arrêté du 19 septembre 2016).

L’année 2017 poursuit ces évolutions avec deux textes revoyant l’organisation des missions d’évaluation domaniale des services déconcentrés de l’Etat : le Décret du 8 août 2017 et l’arrêté du même jour relatifs aux missions d’évaluations domaniales et de politique immobilière des services déconcentrés de la direction générale des finances publiques. Ces textes sont entrés en vigueur le 1er septembre dernier.

L’objectif affiché est de permettre aux directions départementales ou régionales de concourir, dans leur ressort, à la stratégie immobilière de l’Etat. Est ainsi publiée la liste des directions départementales ou régionales pouvant assurer les missions d’évaluations domaniales dans plusieurs départements (Voir liste)

Sont surtout autorisées la création de pôles de compétence, au sein de ces services déconcentrés, pour exercer les missions d’évaluation domaniale notamment et améliorer la qualité des prestations rendues. C’est d’ailleurs l’objet principal de ce texte, afin de “renforcer l’expertise des évaluations domaniales et d’améliorer la qualité des prestations rendues au profit des consultants, dans un contexte de regroupement des services de l’Etat”.

Enfin, le Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique est modifié pour prendre en compte ces évolutions, s’agissant de la mission du Commissaire enquêteur, sans toutefois bouleverser ni sa fonction ni ses compétences. L’article R. 212-1 est modifié en ce sens (Voir le nouvel article R. 212-2).

Évaluation environnementale des documents d’urbanisme : Le Conseil d’Etat censure certaines dispositions du décret du 28 décembre 2015 (CE, 19 juillet 2017, n°400420)

Le Conseil d’Etat ne plaisante pas avec les évaluations environnementales.

Déjà, par une décision du 26 juin 2015, il avait annulé les dispositions  des alinéas 1 à 7 de l’article R. 121-15 du code de l’urbanisme issues de l’article 3 du décret du 23 août 2012 relatif à l’évaluation environnementale des documents d’urbanisme en considérant qu’elles méconnaissaient la Directive européenne relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement (CE, 26 juin 2015, n° 365876).

Par une décision rendue ce 19 juillet, le Conseil d’Etat a réitéré ses exigences en la matière, en censurant le champ bien trop restreint de l’évaluation environnementale et en relevant au passage que le gouvernement n’avait pas pris la mesure de sa précédente décision  (CE, 19 juillet 2017, n°400420).

Pour mieux comprendre cette décision, il convient d’en rappeler le contexte législatif et règlementaire.

Dans le prolongement de l’Ordonnance du 23 septembre 2015 portant nouvelle codification  de la partie législative du livre Ier du Code de l’urbanisme(prétendument à droit constant), le décret  relatif à la modernisation du contenu du Plan local d’urbanisme a été édicté le 28 décembre 2015, d’une part, pour emporter nouvelle codification de la partie règlementaire du même Livre de ce Code, d’autre part, pour l’application de l’article 157 de la loi ALUR, permettre la modernisation du contenu du Plan local d’urbanisme en créant notamment de nouveaux outils.

Mais ce décret avait également une autre ambition : modifier le décret du 23 août 2012 relatif à l’évaluation environnementale des documents d’urbanisme, lequel avait justement vu plusieurs de ses dispositions annulées par le Conseil d’Etat dans la décision susmentionnée de juin 2015.

Il devait ainsi préciser le champ d’application de l’évaluation environnementale à réaliser dans le cadre des procédures de modification et de mises en compatibilité du Plan Local d’Urbanisme.

A cet égard, il doit être relevé que l’article L. 104-3 du Code de l’urbanisme prévoit que :

Sauf dans le cas où elles ne prévoient que des changements qui ne sont pas susceptibles d’avoir des effets notables sur l’environnement, au sens de l’annexe II à la directive 2001/42/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 juin 2001, les procédures d’évolution des documents mentionnés aux articles L. 104-1 et L  104-2 donnent lieu soit à une nouvelle évaluation environnementale, soit à une actualisation de l’évaluation environnementale réalisée lors de leur élaboration“.

Le décret du 28 décembre 2015 devait préciser les conditions de la réalisation de cette nouvelle évaluation ou de son actualisation.

Toutefois, saisi par France Nature Environnement de la légalité de ce décret, le Conseil d’Etat n’a pu que constater l’illégalité de plusieurs de ses dispositions, due à la méconnaissance de la directive du 27 juin 2001, qui devrait être transposée en droit interne depuis longtemps.

Dans cette décision, le Conseil d’Etat a ainsi relevé :

  • Premièrement, que le champ de l’évaluation environnementale, tel que fixé par le décret en cas de modification et de mise en compatibilité du PLU, n’est pas suffisamment large et ne permettaient pas de prévoir qu’il en soit réalisée une dans tous les cas où il pourrait pourtant y avoir des incidences notables sur l’environnement au sens de l’annexe II de la directive 2001/42/CE du 27 juin 2001 ;

 

  • Deuxièmement, que le décret se contente de réitérer les dispositions pourtant annulées par le Conseil d’Etat dans sa décision susmentionnée du 26 juin 2015, ces dispositions devant donc, par les mêmes motifs, être également censurées ;

 

  • Troisièmement, que le décret ne permet pas de soumettre à évaluation environnementale l’ensemble des cartes communales susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement, méconnaissant ainsi les exigences de transposition de la Directive du 27 juin 2001, alors même que le délai de transposition est écoulé et qu’aucun motif impérieux ne justifie d’un délai supplémentaire pour permettre la mise en conformité du droit interne.

Le Conseil d’Etat annule donc les articles R. 104-1 à R. 104-16, R. 104-21 et R. 104-22 du Code de l’urbanisme, en un dernier considérant récapitulatif et qu’il convient ici de citer in extenso pour la bonne compréhension de la décision :

« 15. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que l’association est fondée à demander l’annulation des articles R. 104-1 à R. 104-16 du code de l’urbanisme dans leur rédaction issue du décret attaqué en tant qu’ils n’imposent pas la réalisation d’une évaluation environnementale dans les cas où d’une part, les évolutions apportées au plan d’urbanisme par la procédure de modification et, d’autre part, la mise en compatibilité d’un document local d’urbanisme avec un document d’urbanisme supérieur est susceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement au sens de l’annexe II de la directive 2001/42/ CE du 27 juin 2001, des articles R. 104-21 et R. 104-22 insérés au code de l’urbanisme par le décret attaqué en tant qu’ils désignent l’autorité administrative de l’État compétente en matière d’environnement pour l’élaboration du chapitre individualisé du schéma de cohérence territoriale valant schéma de mise en valeur de la mer et la mise en compatibilité d’office par le préfet du plan local d’urbanisme ou du schéma de cohérence territoriale avec des documents supérieurs, et du II de l’article 12 du décret attaqué ».

La lecture de cette décision fait ressortir de manière manifeste l’agacement du Conseil d’Etat qui est contraint de renouveler des critiques qui avaient pourtant été très clairement énoncées préalablement.

Elle démontre en outre l’importance qu’a pris l’outil de l’évaluation environnementale dans le droit de l’urbanisme et l’absolue nécessité de ne pas s’affranchir des règles qui s’y rapportent.

Cette décision doit enfin être lue en écho avec l’examen du projet de loi de ratification de l’Ordonnance du 3 août 2016 relative à la modification des règles applicables à l’évaluation environnementales des projets, plans et programmes, adopté en première lecture par les députés dans la nuit du 18 au 19 juillet dernier.

#Urbanisme – Une décision aux multiples intérêts : CE, 19 juin 2017, n° 398531

Par une décision rendue ce lundi, le Conseil d’Etat apporte des précisions bienvenues sur plusieurs sujets intéressants : le caractère de bâtiment à usage principal d’habitation d’un centre d’hébergement d’urgence, la justification de la non transmission d’une QPC relative à la constitutionnalité de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme et l’application de cet article par le pétitionnaire soumis à une nécessaire régularisation de son permis de construire (CE, 19 juin 2017, n° 394677, mentionné aux tables)

1er intérêt de cette décision : un centre d’hébergement d’urgence constitue un bâtiment à usage principal d’habitation

En application de l’article R. 811-1-1 du code de justice administrative, il n’y a pas d’appel possible contre les jugements relatifs à des recours, introduits les entre le 1er décembre 2013 et le 1er décembre 2018 contre ” les permis de construire ou de démolir un bâtiment à usage principal d’habitation ou contre les permis d’aménager un lotissement lorsque le bâtiment ou le lotissement est implanté en tout ou partie sur le territoire d’une des communes mentionnées à l’article 232 du code général des impôts et son décret d’application “.

Ces dispositions, issues du décret du 1er octobre 2013 relatif au contentieux de l’urbanisme, ont pour objectif, dans les zones où la tension entre l’offre et la demande de logements est particulièrement vive, de réduire le délai de traitement des recours pouvant retarder la réalisation d’opérations de construction de logements.

Le Conseil d’Etat rappelle que, pour l’application de ces dispositions, dans le cas où la construction est destinée à différents usages, doit être regardé comme un bâtiment à usage principal d’habitation celui dont plus de la moitié de la surface de plancher est destinée à l’habitation. Ce faisant, il applique directement sa décision rendue le 20 mars dernier   (CE, 20 mars 2017, n°401463, mentionné aux Tables).

En l’occurrence, le permis de construire concernait un Centre d’hébergement d’urgence.

Dans la décision commentée, le Conseil d’Etat juge qu’une telle construction doit bien être regardée comme un bâtiment à usage principal d’habitation, à laquelle s’applique la dispense d’appel susmentionnée (Considérant n°4).

2e intérêt de cette décision :  La justification de la non transmission de la QPC relative à l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme

Dans cette affaire, les requérants avaient soulevé une question prioritaire de constitutionnalité relative aux dispositions de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme, aux termes desquelles : “Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’un vice entraînant l’illégalité de cet acte est susceptible d’être régularisé par un permis modificatif peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation. Si un tel permis modificatif est notifié dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations “.

Les requérants soutenaient que ces dispositions étaient contraires à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Dans la décision commentée, le Conseil d’Etat justifie l’absence de transmission de la QPC par le Tribunal administratif en soulignant que ces dispositions “ne portent atteinte à aucune situation qui serait acquise ou définitivement constituée” et qu’elles “se bornent à instituer des règles de procédure concernant exclusivement les pouvoirs du juge administratif en matière de contentieux de l’urbanisme.

3e intérêt de cette décision du Conseil d’Etat : le jugement avant dire droit mettant en oeuvre les dispositions de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme suffit pour délivrer un permis modificatif

Dans cette décision, le Conseil d’Etat affirme que : “Il ne résulte pas des dispositions précitées de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme que le bénéficiaire du permis de construire doive solliciter de l’autorité compétente la délivrance du permis modificatif que le juge administratif, statuant avant dire droit, a estimé nécessaire pour régulariser le permis de construire initial

En d’autres termes, le pétitionnaire qui se voit demander la régularisation de son permis de construire par le juge administratif n’a pas à formuler une demande expresse de PCM auprès de l’autorité compétente.

Ce principe, bien que souligné dans cette décision (Considérant n°23), n’apparaît pas nécessairement applicable à la majorité des situations dans lesquelles une modification de la notice ou des plans du dossier de demande de PC initial peut apparaître absolument nécessaire pour que le permis initial soit régularisé.

Objectif poursuivis dans l’élaboration ou la révision du Plan local d’urbanisme : Application de la jurisprudence Saint-Bon-Tarentaise

Il résulte des dispositions de l’ancien article L. 300-2 du Code de l’urbanisme (désormais codifié à l’article L. 103-2 du même Code), que la délibération par laquelle l’autorité compétente prescrit l’élaboration ou la révision d’un Plan local d’urbanisme doit porter, d’une part, et au moins dans ses grandes lignes, sur les objectifs poursuivis par l’élaboration ou la révision du document d’urbanisme, d’autre part, sur les modalités de la concertation avec les habitants, les associations locales et les autres personnes concernées.

Jusqu’au mois de mai dernier, une jurisprudence constante permettait que soit censurée la délibération approuvant l’élaboration ou la révision d’un PLU n’ayant pas été précédée de la définition de ces objectifs  (CE, 10 février 2010, Commune de Saint-Lunaire, n° 327149).

En d’autres termes, il était jusqu’alors considéré que les illégalités entachant la délibération prescrivant l’adoption ou la révision du PLU étaient susceptibles d’entraîner l’annulation de la délibération approuvant le PLU (Voir encore: CE, 17 avril 2013, Commune de Ramatuelle, n° 348311 ; CE, 8 octobre 2012, Commune d’Illats, n° 338760).

Le 5 mai dernier, le Conseil d’Etat rendait une décision renversant cette jurisprudence très établie (CE, 5 mai 2017, n° 388902, publié au Recueil).

Désormais, le juge administratif considère que, si la délibération définissant les objectifs de la procédure d’approbation du document d’urbanisme est susceptible de recours devant le juge de l’excès de pouvoir, “son illégalité ne peut, en revanche, eu égard à son objet et à sa portée, être utilement invoquée contre la délibération approuvant le plan local d’urbanisme“.

Dès le 18 mai suivant, la Cour administrative d’appel de Nancy appliquait entièrement ce nouveau principe (CAA Nancy, 18 mai 2017, n° 16NC02372).

Si la jurisprudence rendue jusqu’alors pouvait paraître sévère aux auteurs de ces documents d’urbanisme, elle n’en restait pas moins pleinement justifiée et ce revirement apparaît, pour les requérants désormais déboutés, quelque peu brutal.

Au vu des conséquences de cette volte-face, il faut certainement s’attendre à une recrudescence des contentieux initiés à l’encontre des délibérations approuvant les objectifs de la procédure d’élaboration ou de révision. Ce qui risque de ne pas aller dans le sens d’une plus grande sécurité juridique…

Urbanisme : A quelle date s’apprécie le respect des dispositions d’un Plan de prévention des risques d’inondations

CE, 31 mars 2017, n° 396909

Dans un arrêt du 29 mars 2017, le Conseil d’Etat rappelle utilement la manière d’apprécier le respect des dispositions d’un plan de prévention des risques d’inondation (ci-après PPRI).

Pour répondre à cette question particulièrement importante, il convient de bien examiner les dispositions du plan qui, seules, permettent de savoir à quelle date le respect de ses dispositions doit être analysée.

En l’espèce, les dispositions du PPRI de la Vallée de la Seine, interdisent ” les constructions ou les reconstructions de tous types sauf celles autorisées sous conditions “.

Il n’autorise ainsi que les reconstructions de bâtiments à usage d’habitation qu’en cas de sinistre non lié aux inondations, d’une part, et ” les constructions nouvelles d’habitation dans une “dent creuse ” de l’urbanisation actuelle, dans le respect des règles du plan local d’urbanisme“, d’autre part.

S’agissant des dents creuses, le Règlement les définit comme une “unité foncière non bâtie, d’une superficie maximale de 1.000m², qui se caractérise en tant que discontinuité dans la morphologie urbaine environnante “. 

La question s’est alors posée de savoir à quelle date la situation de dent creuse devait exister pour permettre la construction : à la date de l’approbation du PPRI  ? Ou à la date à laquelle il était statué sur la demande de permis de construire?

 

Dans cette affaire, le Conseil d’Etat souligne qu’il résulte des termes mêmes du PPRI que, pour l’application de ces dispositions, il est nécessaire de se référer à l’urbanisation qui était en vigueur lors de l’adoption du PPRI, et non à l’urbanisation existant à la date à laquelle il est statué sur la demande de permis de construire.

En d’autres termes, les dents creuses apparues postérieurement à l’adoption du PPRI ne pourront pas être comblées sur le fondement des dispositions susmentionnées.

 

De l’importance de lire avec la plus grande attention la manière dont sont rédigés les textes.

Contentieux de l’urbanisme : Intérêt à agir d’une Association

CE, 29 mars 2017, n° 395419

En application des dispositions de l’article L. 600-1-1 du code de l’urbanisme : ” Une association n’est recevable à agir contre une décision relative à l’occupation ou l’utilisation des sols que si le dépôt des statuts de l’association en préfecture est intervenu antérieurement à l’affichage en mairie de la demande du pétitionnaire “.

Dans un arrêt rendu le 29 mars 2017, le Conseil d’Etat rappelle qu’il résulte de ces dispositions qu’une association n’est recevable à demander l’annulation d’une autorisation d’occuper le sol que si elle a déposé ses statuts en préfecture avant l’affichage en mairie de la demande du pétitionnaire.

Surtout, l’intérêt de  cette décision réside dans le fait que l’intérêt à agir de l’Association doit être examiné sur le fondement des statuts déposés antérieurement à cet affichage.

En d’autres termes, si ces statuts ont été complétés entre temps, les modifications qui en sont issues ne pourront pas être prises en considération.

Dans cette affaire, les statuts initiaux de l’Association requérante, tels que déposés en Préfecture préalablement à l’affichage de la demande de permis, mentionnaient un objet social très large, lui donnant pour mission ” toutes études et réalisations de nature à préserver ou améliorer la qualité de vie à Garches “.

Si ces statuts avaient ensuite été complétés pour être précisés, ces modifications n’avaient été enregistrées en Préfecture qu’après l’affichage de la demande de permis. Le juge administratif ne pouvait donc pas s’appuyer dessus pour examiner l’intérêt à agir de l’Association.

Ainsi, considérant que l’objet social initial de l’Association présentait un caractère trop général, le Conseil d’Etat a confirmé que celle ci ne disposait pas d’un intérêt lui donnant qualité pour agir contre les autorisations d’occuper le sol.

Il convient donc d’être vigilant dans l’examen des dates des différentes modifications statutaires des Associations, car cela peut entraîner l’irrecevabilité de leur demande.

 

On vous avait bien dit qu’on n’en avait pas fini avec l’intérêt à agir en droit de l’urbanisme !

Contentieux de l’Urbanisme: Intérêt à agir et permis de construire modificatif

Depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance n°013-638 du 18 juillet 2013 et son décret d’application n° 2013-879 n° du 1er octobre 2013, les jurisprudences rendues en matière de recours contre les autorisations d’occuper le sol n’ont cessé de préciser les contours de l’intérêt à agir des requérants.

Précisément, aux termes de l’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme : “Une personne autre que l’Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n’est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager que si la construction, l’aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d’une promesse de vente, de bail, ou d’un contrat préliminaire mentionné à l’article L.261-15 du code de la construction et de l’habitation”.

Sur ce fondement, le principe constamment rappelé par la juridiction administrative est que les requérants doivent, pour justifier d’un intérêt à demander l’annulation d’une autorisation de construire, préciser l’atteinte qu’ils invoquent pour justifier d’un intérêt leur donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de leur bien.

Dans deux arrêts du 27 juillet 2016, le Conseil d’Etat avait admis l’intérêt à agir des requérants situés à proximité immédiate du terrain d’assiette du projet litigieux et faisant valoir, pièces à l’appui, que l’importance de la construction entraînera des troubles visuels et de jouissance paisible de leur bien (CE, 27 juillet 2016, n° 369840; CE, 27 juillet 2016, n° 391219).

Le 17 mars dernier, les juges du Palais Royal ont précisé cette fois comment devait être étudié l’intérêt à agir des tiers à l’encontre d’un permis de construire modificatif.

Dans la droite ligne de la jurisprudence rendue en matière d’autorisations modificatives, le Conseil d’Etat souligne ainsi que “ Lorsque le requérant, sans avoir contesté le permis initial, forme un recours contre un permis de construire modificatif, son intérêt pour agir doit être apprécié au regard de la portée des modifications apportées par le permis modificatif au projet de construction initialement autorisé ” (CE 17 mars 2017, n° 396362)

Dans l’application de ce principe, le Conseil d’Etat censure alors les juges du fond, en considérant que les requérants justifiaient bien d’un intérêt à agir contre le permis modificatif dès lors que ce dernier ” apportait des modifications notables au projet initial, affectant son implantation, ses dimensions et l’apparence de la construction”.

On n’en a pas fini avec l’intérêt à agir !